Faut-il conserver « la réserve héréditaire » ?
La réserve héréditaire est une portion de l’héritage des parents attribuée, par la loi, aux enfants. Le sujet a été largement commenté après le décès de Johnny Hallyday au sujet de la répartition de sa succession. Nous n’y reviendrons pas. L’affaire est en cours d’instruction.
Les débats de « la réserve héréditaire » sont à la fois moral et familial, c’est-à-dire passionnels dès qu’une évolution juridique apparaît sur le devant de la scène. C’est actuellement le cas. A la demande du Gouvernement, une réflexion est menée par l’Inspection des Affaires Sociales (IGAS). L’enjeu est assez simple, même si le sujet est complexe. Il pourrait se résumer en une question : « Peut-on déshériter ses enfants ? »
Aujourd’hui, en France, la réserve héréditaire est une protection accordée aux enfants au moment de la succession. Elle résulte d’une conception latine de la famille qui s’oppose à celle en vigueur dans les pays anglo-saxons notamment aux Etats-Unis. Deux approches s’opposent. Elles représentent un marqueur sociétal. Elles interpellent la notion de Liberté et ses limites, et la notion d’Egalité et ses modalités. Sur ce sujet, le débat idéologique sous tend le débat juridique. Nous profitons de l’occasion pour aller sur un autre terrain celui de l’Histoire et permettre à chacun de se faire sa propre opinion.
Il était une fois…
La réserve héréditaire est traduite en droit lors de la rédaction du Code civil en 1804. Auparavant, il s’agissait d’une coutume qui peu à peu est entré dans la légitime, c’est-à-dire le résultat d’une action que le droit romain accorde aux enfants contre les héritiers institués par le testament de leur auteur (père ou mère), par la production d’écrits. En 1804, le législateur transpose en droit écrit, les règles natives du droit coutumier en matière successorale.
C’est dans l’article 912 du Code Civil que la réserve héréditaire est énoncée « … la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent ».
Jusqu’à la loi du 23 juin 2006, le Code civil ne définit pas réellement la réserve héréditaire. Les articles 913 et suivants du Code Civil indiquent simplement que les libéralités ne peuvent excéder, en présence de certains héritiers, telle quotité des biens : « portion de bien disponible ». Ce qui provoque de nombreuses discussions sur la nature de la réserve héréditaire, jusqu’à ce que la jurisprudence détermine que « la réserve n’est autre chose que la succession elle-même, diminuée de cette portion, s’il en a disposé ».
La réserve héréditaire un principe contesté
Cette institution est contestée depuis très longtemps. Les principaux arguments des opposants sont :
Elle empêche la libre circulation des biens
La réserve empêche la libre circulation des biens et ne permet pas à la personne de disposer librement de sa succession.
Elle est inutile
Nous héritons de nos parents vers 50 ans en moyenne. Il se peut que les héritiers soient mariés, propriétaires d’une résidence principale et n’aient plus d’enfant à charge. Ce qui n’était pas le cas dans le passé. A cette époque l’héritage permettait de se construire un avenir. Aujourd’hui, intervenant plus tôt, les héritiers sont de fait plus jeunes et les conséquences sur la constitution d’un patrimoine, sont différentes.
Pour ses défenseurs, dont je suis en tant que notaire spécialisé en droit des successions, la réserve héréditaire permet d’atteindre 3 objectifs.
Protéger les enfants
Contre un risque d’abus d’autorité des parents. En effet, offrir la liberté à des parents de déshériter ses descendants peut être considéré, comme une menace, une atteinte éducative portée à l’enfant. La réserve permet également de sauvegarder une égalité minimale entre les enfants.
Solidarité familiale
La solidarité familiale se traduit en droit par l’obligation qu’à l’enfant de subvenir aux besoins de l’ainé tant qu’elle est vivante. Sa mort entraine alors, un droit sur la succession. C’est un moyen de soulager la solidarité nationale.
Maintenir les biens dans la famille
La réserve permet de garantir en partie le maintien de quelques biens dans la famille puisqu’elle est une partie des biens successoraux.
Modification sur la réserve héréditaire
La loi du 23 juin 2006 a apporté de nombreuses modifications à la réserve. Elle est initiée dans le but de permettre l’anticipation de la succession. Elle redéfinit les détenteurs de la réserve. Les ascendants ne sont plus concernés et le conjoint survivant devient réservataire en l’absence de descendants. Elle crée également un « pacte sur succession future » permettant à un héritier réservataire de renoncer à son droit sur la partie réservataire de la succession.
L’Europe apporte également son lot de modifications. Dans une période où les échanges internationaux sont de plus en plus importants, où la notion de réserve héréditaire n’existe pas dans de nombreux pays, la nécessité d’harmoniser les règles dans l’objectif d’éviter les conflits de lois est forte. Le nouveau Règlement du Parlement européen est entré en vigueur et s’impose à l’ensemble des membres de l’Union européenne. Ce règlement permet de choisir la loi applicable à sa succession.
Aujourd’hui, chacun peut anticiper sa succession. De nombreux éléments permettent de réduire la part accordée à la réserve héréditaire. L’assurance vie, par exemple, n’entre pas dans le décompte et permet de la léguer en toute liberté à la personne de son choix. Cependant, même amputée, la réserve héréditaire assure encore un rôle de protection et de solidarité.
L’échange avec un notaire est un moyen simple de mieux comprendre le fonctionnement d’un dispositif complexe, de trouver les meilleures options en fonction des désirs et des contraintes de chacun. Il permet de fournir à chacun des éléments d’analyse et de conviction.
Ce qui est évident, c’est qu’il est important de préparer en amont sa succession afin d’éviter des conflits et des heurts inutiles, coûteux tant financièrement qu’humainement.
Voir notre article concernant le rôle du notaire dans la préparation de la succesion.